il est tard. mes yeux se ferment doucement, mes pupilles se dilatent. je suis seule, derrière mon comptoir. je compte et recompte les billets. je les range, les empoigne encore. j'empile les verts, puis les rouges clairs. viennent les bleus, et les oranges. eux sont plus rares. la pierre sur laquelle ils sont posés est sale, ça me répugne. mon estomac se retourne et mon cœur fait un bond dans ma poitrine, frappe ma cage thoracique comme un tambour assommant. pour si peu.
le silence s'est immiscé dans la pièce, la lumières est tamisée. dehors, les fards des voitures semblent n'être plus qu'une étendue d'étoiles brûlantes, de soleils à la chaleur qui calcine la peau et à la couleur qui immole les prunelles. flammes ardentes dans la nuit, flammes qui réchauffent mon âme, mais juste un petit peu.
la noirceur rend les murs plus froids, le silence plus pesant. ce silence qui raisonne en moi, ces trois coups qui ne cessent pas. boum, boum, boum. c'est dans ma tête, pourtant. son fracassant. bruit entêtant de mes pensées amères, ces pensées qui se noient au travers de mes larmes, parfois. parfois, quand je suis chez moi. parfois, lorsque mon corps glisse contre le mur glacé de mon quinze mètres carré, quand je veux piétiner mon cœur du bout de mon talon mais qu'il reste là, à battre comme un con dans ma cage thoracique. qu'il continue à produire cette mélodie sombre, cette horrible musique.
la porte s'ouvre. les yeux fixés sur ces billets bien alignés, c'est au début le simple fruit de mes pensées. pourtant, il y a cette fille qui se plante devant moi, m'achève de son regard froid. je souris faiblement. sûrement, elle ne le voit pas. je range les billets, j'attends d'entendre ce crissement particulier, celui du papier qui frappe le fond de la caisse et qui se froisse, un peu. de ma voix enrouée, je prononce un bonsoir. je toussote, je l'écoute. je voudrais dormir, plutôt. m'enfoncer entre mes draps blancs, fermer les yeux sur cette vie décolorée. elle veut trois kebabs mayonnaise. la mayonnaise, moi, je n'aime pas ça. cette couleur est dégueulasse, cet espèce de blanc qui ment, qui se donne une teinte cassée, un peu jaunie, aussi. c'est important, les couleurs. c'est important que la mayonnaise soit uniforme et que les billets verts soient avec les billets verts, et pas avec ceux qui sont d'un rouge clair.
je pense à ça, pendant que je prépare sa commande. au début, elle reste silencieuse. je sens toujours sont regard de glace me scruter. elle est drôle, la couleur de ses yeux. sculpture de glace, océan ravagé ou morceau de verre brisé, je ne saurais pas dire. ça a quelque chose d'intimidant, et d'envoutant, aussi.
sa voix raisonne, en écho à l'arrière de mon crâne. moi, j'hausse les épaules, mon visage se crispe un petit peu et mes deux yeux se plissent.
- c'est écrit sur le contrat. et j'aimerais pas ça, perdre mon boulot, même si c'était pas mon rêve de petite fille, d'rester coincée ici.
je souris un peu, ris de moi-même. c'est le rêve de qui ?
je termine un des kebabs, et sur le comptoir, j'y dépose la boîte.
- la plupart du temps, c'est bien inutile que je bosse de nuit puisque personne ne vient. mais comme quoi il y a des exceptions.