EYES SHUT (WAJILA)

trois semaines.
trois putain d'semaines,
d'une survie, d'une lutte sans merci. trois semaines déjà (ou seulement) que nos regards s'efforcent de n'pas se croiser, que nos corps n's'effleurent que dans nos pensées. vingt-et-un jours et des centaines d'heures, qui nous séparent de nos dernières paroles qui promettaient c'que les audacieux appellent un avenir à deux, un futur heureux. quelque chose qui dépasserait le réel, quelque chose qu'on n'décrit pas réellement, qu'est un tunnel infini duquel on n'voit jamais l'bout sans l'autre, duquel s'y trouve une chute presque douce. quelque chose qui n'finit pas. qui devait s'composer d'toi, et moi. mais qui contre nos sentiments jamais n'débutera.
et te voilà,
seule, face à moi, à l'autre bout d'une route d'où filent les voitures cabossées et crissant au prochain virage. d'une route aux courses folles et dangereuses, une route parsemée d'épines, chemin impossible, pour te rejoindre toi. cinq ou six mètres qui renvoient une vision d'perte, d'horreur, de 'si j'avance, j'me troue le cœur'.
alors j'fais quoi, kamila ?
est-ce que j'm'y risque, à traverser c'putain d'bitume ? pour pouvoir t'contempler d'plus près, pour qu'une de mes caresses étonnement légère viennent te perforer ? ou pour pouvoir voir naître dans ton regard un ouragan aux vents puissants et violents ? une tornade qui m'fera regretter, qui m'foutra remords et bordel dans mon esprit ? aide-moi, kami.

trois semaines, si c'n'est pas plus, qu'il te disait des mots d'amours.
504 heures, si c'n'est pas plus, qu'il te prenait dans ses bras comme si t'étais la chose la plus importante à ses yeux.  
il t'a mis des étoiles pleins les yeux (peut-être même qu'il y avait mis des constellations) et il s'est envolé. il t'a laissé sans nouvelles pendant 21 jours. 21 jours où tu t'es sentie crever, où tu t'es sentie ridicule.
à quoi bon t'avoir fait des promesses qu'il n'a même pas été capable de tenir deux minutes ? à quoi bon t'avoir foutu des étoiles pleins les yeux ?
des étoiles maintenant devenues météorites qui ont ravagées ton cœur, détruit tout tes espoirs d'une suite heureuse, d'une belle histoire comme celle que tes copines de lycée te chantent, attisant ta jalousie longtemps refoulée.
mais maintenant qu'il est là, à quelques mètres de toi, qu'il n'a jamais été aussi proche depuis ce jour, qu'il ne t'a jamais regardé aussi longtemps, depuis ce fameux jour où le soleil et la lune se sont frôlés… cette distance qui te donnait envie d'tout casser, elle te fait suffoquer, elle te fait douter d'ta place sur terre. c'est bien réel ? il est bien en face de toi ? c'est toi qu'il regarde ou la meuf avec cette jupe ras la moule qui vient d'passer ?
t'as envie d'traverser et d'lui poser la question, prendre tes couilles en main et lui demander aussi pourquoi. pourquoi c'est devenu comme ça entre vous. pourquoi il a pas tenu ses promesses à deux francs. pourquoi il t'fait sentir vivante avant d't'enfoncer dix pieds sous terre. pourquoi c'est comme ça. pourquoi c'est pas simple.
mais t'as pas d'couilles, t'es qu'une meuf qui s'la joue sûre d'elle mais qui s'pisse dessus quand elle voit l'objet d'tout ses désirs en face d'elle. ta respiration te manque et tu restes clouée sur place, incapable d'bouger, incapable d'faire quoi que ce soit. T'es faible en face de lui, parce que tu gares encore l'goût amer de toutes ces belles promesses envolées comme des grains d'sables.
le bus arrive, comme l'destin qui tape à ta porte pour te donner un coup d'pouce. pour t'permettre de t'enfuir comme si de rien n'était, pour t'éviter d'affronter le grand méchant loup – parce que c'est comme ça que tu l'vois, wajid.
t'hésites longtemps, t'hésites longuement. mais tu finis par décliner l'offre du destin. y a quelque chose au fond d'toi qui veut pas, y a quelque chose qui t'fait t'lever, pas pour prendre l'bus, mais pour rejoindre l'trottoir d'en face, pour rejoindre ton meilleur ennemi dans cette bataille acharnée.

- j'me suis trompée d'ligne.
(tu sais même pas pourquoi tu lui dis ça)

c'est pas vrai. tu mens. c'est un prétexte, une excuse pour qu'il s'dise pas qu't'es là pour lui, qu't'as traversée parce que tu voulais sentir son odeur et effleurer son épaule quand tu t'envoleras vers d'autres horizons.
tu veux juste pas qu'il sache que t'as traversée parce que tu voulais entendre le sons d'sa voix, savoir qu'il respirait correctement, t'rendre compte qu'il continuait à vivre normalement – même sans toi dans les parages.

et bordel, encore c'sentiment qu'beaucoup qualifieraient d'tripant, mais qui pour moi est le pire de tous. c'sentiment d'lien qui s'tisse, s'tord et s'raccourcit d'plus en plus jusqu'à c'que ça commence à m'étrangler, à m'faire manquer des bouffées. ça donne c'goût amer, c'goût acre, celui d'un attachement qu'on a pas désiré, celui qu'on a tenté maintes et maintes fois d'rejeter mais qui pourtant revient au galop, sans relâcher, pas une fois depuis trois semaines, pas une fois j'ai pu t'oublier.

vulgaire bus qui m'fait dévier l'regard, m'fait un peu réaliser.
m'fait surtout douter, m'donne envie d'un côté d'fuir, d'l'autre de continuer à m'enfoncer avec toi dans mon champ d'vision, à l'opposé.

et t'voilà qu'avance, et t'voilà grandissante,
sublime, surtout dangereuse, toxique.
j'suis partagé entre sourire et dériver,
mais j'reste là, comme un con, à semi-paralysé.

- tu peux prendre l'prochain.

ouais, c'est ça. fais donc, comme ça t'vas encore m'passer sous l'nez, comme ça j'tenterai encore d't'oublier en sachant pertinemment que j'y arriverai jamais. putain, kami, comment j'le pourrais ?

- ou alors.. j't'accompagne ?
enfin, j'sais pas. j'sais pas où tu veux aller,
pis j'crois qu'c'est peut-être mieux que j'te laisse, hein.

quel con j'fais.